Retrouvez l’intégralité de la tribune de Thierry Marx et Véronique Carrion publiée ce jour sur le site du Huffington Post ci-dessous :
Les besoins sont là, les budgets sont disponibles et la branche professionnelle continue de s’opposer à la mise en place des formations pour les demandeurs d’emploi dans la restauration.
Depuis plus de 10 ans, les métiers de la restauration souffrent d’un grave déficit de personnels qualifiés qui pénalise les professionnels du secteur. Les deux syndicats représentatifs des professionnels de l’hôtellerie-restauration UMIH et GNI-SYNHORCAT l’expriment clairement: “Il nous a manqué 100.000 emplois pour la saison 2019, une réalité qui n’est pas nouvelle, mais ça n’a jamais été aussi prégnant que cette année” pour le premier. “Ces postes non pourvus ont une conséquence sur le volume d’activité des professionnels du secteur. Ils ont dû réduire la capacité à accueillir les clients. Certains ont pris des mesures drastiques en fermant leur établissement pour un, deux services, voire des journées complètes” renchérit le second.
Nous ne pouvons que confirmer. Cuisine Mode d’Emploi(s), organisme de formation que nous avons créé en 2012 pour permettre à des demandeurs d’emploi motivés d’intégrer un parcours de qualification et d’insertion professionnelle dans les métiers de la restauration le constate tous les jours.
Si 90% des stagiaires que nous formons trouvent un emploi dans le secteur, cela n’a rien d’un miracle. C’est à la fois parce que la formation dispensée est courte, mais très opérationnelle, mais aussi, et surtout, parce qu’elle correspond aux besoins des entreprises.
“La nécessité de se former à nos métiers de l’Hôtellerie-Restauration n’a jamais été aussi essentielle dans un contexte préoccupant de pénurie de personnels”, affirme avec raison l’UMIH.
Face à ces besoins, des moyens financiers existent: chaque entreprise de France cotise pour la formation de ses propres salariés, mais également celle des demandeurs d’emploi. Les fonds prélevés par l’État sont reversés chaque année aux opérateurs de compétences (OPCO) qui ont pour mission de financer les formations. Pour les restaurants, les hôtels, les cafés, AKTO réseau FAFIH[1], comme tous les OPCO, est attributaire d’un budget spécifique pour financer les formations des demandeurs d’emploi qui visent un emploi dans le secteur.
Avec la mise en place en 2018 par l’État du Plan d’investissement dans les compétences (PIC), les budgets consacrés n’ont jamais été aussi importants
Piloté par le ministère du Travail, le PIC fixe pour ambitions de former 1 million de demandeurs d’emploi peu ou pas qualifiés et 1 million de jeunes éloignés du marché du travail et répondre aux besoins des métiers en tension et investit pour cela 15 milliards d’euros sur 5 ans dont une partie consacrée au financement des POEC[2] via les OPCO et Pôle Emploi.
Et pourtant, comme nombre d’autres organismes de formation, Cuisine Mode d’Emploi(s) restent soumis aux aléas des décisions de l’OPCO qui débutent invariablement par un refus de financement des formations que seules d’interminables discussions et empoignades finissent par infléchir.
Cette situation dure depuis plus de cinq années et la mise en place du PIC n’y change rien, au contraire…
Le 12 février 2018, je vous confirme que le Conseil d’Administration du Fafih a décidé de geler pour le moment les nouveaux engagements…; le 18 mai 2018, le Fafih ne peut signer aucune convention de financement; le 12 octobre 2018: N’ayant pas de visibilité sur le budget POEC 2019, je ne peux pas vous garantir une prise en charge par le Fafih à ce jour. ; le 7 janvier 2019, tous les engagements sont actuellement gelés sur décision des partenaires sociaux prise en Conseil d’administration lors de sa séance du 23 janvier 2019.
Et ainsi de suite tous les 3 mois environ…
Mais qui sont les partenaires sociaux qui prennent ces décisions en Conseil d’administration?
Les mêmes qui déclarent la nécessité de former pour remédier à la pénurie si dramatique de personnels qualifiés! soit l’UMIH qui assure la Présidence du conseil d’administration d’AKTO dont AKTO-réseau FAFIH.
Aujourd’hui encore, un nouvel épisode, avec cette fois la crise sanitaire pour prétexte: le 10 juin 2020, du fait des grandes incertitudes inhérentes à la Branche HCR[3], je vous confirme leur décision de suspendre temporairement le démarrage de nouvelles POEC.
Outre qu’une telle justification signe le déclin irréversible de ce secteur et en cela la disparition des 100.000 emplois potentiels et en déduit l’inutilité de former pour l’avenir de nouveaux collaborateurs, elle n’est pas crédible au regard décisions similaires prises bien avant la survenue de la crise sanitaire.
Elle l’est d’autant moins que le jour même, soit le 10 juin, AKTO décide à titre exceptionnel et jusqu’au 31 décembre 2020 le financement de POEC à des demandeurs d’emploi issus du travail intérimaire visant l’acquisition de compétences liées aux métiers figurant sur la liste déterminée par la CPNE[4] dans les métiers où sont identifiés des besoins. Et sur cette liste, figure précisément …. La restauration dont les formations de commis de cuisine et serveur en salle. Comprenne qui peut.
C’est une réalité, la crise sanitaire mondiale que nous connaissons a impacté durement les entreprises du secteur, mais l’attachement des Français à leurs établissements à ces lieux de convivialité reste intact: 84% des Français comptent retourner au restaurant cet été[5].
Au moment où tous les restaurateurs de la France métropolitaine reprennent peu à peu leur activité et/ou les frontières immédiates s’ouvrent pour accueillir de nouveaux les touristes, il est inimaginable pour nous d’acter la mort de ce secteur stratégique de notre économie et de suspendre les formations de ceux qui intégreront nos métiers.
Il faut garder à l’esprit qu’entre l’entrée en formation et celle sur le marché de l’emploi, trois mois –le temps de la formation– sont nécessaires.
Et c’est donc bien maintenant que les opérateurs de compétences et les partenaires sociaux qui les composent doivent concentrer leur effort et les moyens à leur disposition pour former et accompagner la reprise, y compris aux nouveaux gestes sanitaires rendus nécessaires par la crise, de nouveaux collaborateurs.
Le manque d’anticipation et les atermoiements ne feront que rajouter des difficultés supplémentaires aux professionnels de la restauration et entraver la nécessaire mobilisation pour l’emploi.
[1] le FAFIH (Fonds d’Assurance Formation de l’Industrie Hôtelière) est intégré, depuis la fusion des OPCO au sein d’AKTO depuis le 1er janvier 2020 et devient donc AKTO-réseau FAFIH, aux côtés d’AKTO-réseau FAF TT (Fonds d’Assurance Formation du Travail temporaire), AKTO-réseau Intergros, …
[2] La préparation opérationnelle à l’emploi collective (POEC) est une action de formation permettant aux demandeurs d’emploi d’acquérir les compétences requises pour occuper des emplois correspondant à des besoins identifiés par une branche professionnelle.
[3] Hôtels, cafés, restaurants
[4] Commission paritaire nationale de l’emploi
[5] Sondage OpinionWay pour Serig réalisé en ligne du 18 au 19 mai 2020 auprès d’un échantillon de 1077 personnes, représentatif de la population française âgée de 18 ans et plus